Comment cet univers vous est-il venu à l’esprit ? Comment l’avez-vous développé ?

C’est difficile de synthétiser tout ce qui a conduit à cet univers. Mais pour simplifier du mieux que je peux, différents éléments sont apparus clairement pendant les différentes étapes d’écriture et de conception de l’album, qui m’ont paru cool à dessiner et à combiner dans le même monde. Certains étaient simplement différentes versions d’idées que j’avais depuis longtemps.

Le monde dans lequel se déroule l’histoire est une combinaison entre ce que j’imaginais des endroits où j’ai vécu au Brésil , où il y a beaucoup de plages, de végétation, de dunes, de palmiers etc et ce que j’imagine de l’endroit où je vis aujourd’hui, où il y aussi beaucoup de palmiers mais aussi des chauves-souris qui volent la nuit, de très beaux ciels durant l’été et l’automne, et parfois un sentiment plus sombre qui arrive lors des jours de tempêtes ou plus chauds.

Dans la narration comme dans l’illustration, quelles sont vos références ?

Pour ce qui concerne Leftstar, je n’ai pas vraiment cherché de références spécifiques autres que ce que j’ai pu mentionner dans ma réponse précédente. C’était très personnel et j’ai essayé de dessiner et d’écrire ce que moi-même j’aimais voir ou lire. D’une certaine manière, ce fut un projet complaisant.

Il y a des ressentis et des expériences que j’apprécie dans d’autres histoires, il est donc naturel que je puisse y faire référence lorsque je réfléchis à l’ambiance ou au rythme de mon propre récit. Mais il n’y a pas d’artistes ou de scénaristes spécifiques pris pour modèle ou dont j’aspire à imiter le style. Il y a tellement de choses différentes qui ont influencé et continuent d’influencer mon approche de la narration et du dessin qu’il me serait difficile d’être conscient de toutes ces choses ou d’énumérer toutes celles dont je me souviens.

Je pourrais lister des bandes dessinées, des films, des animés, des musiques et les contenus que j’aime, mais nous aurions probablement besoin de beaucoup plus de temps, quelques bières et peut-être de café. 

Leftstar peut se lire comme une métaphore des problématiques liées à la création et ses effets sur la santé mentale, à quel point vous êtes-vous inspiré de votre propre expérience en tant qu’artiste pour parler de ce sujet ? 

Cet aspect du récit, ou la manière dont il peut être interprété, n’était pas ce sur quoi je me suis concentré. Si je dois dire un mot sur le sujet, je ne dirai pas nécessairement que c’est la création qui a des effets néfastes sur la santé mentale, mais que certaines circonstances et habitudes peuvent lui porter préjudice et par conséquent, affecter la relation qu’entretient l’artiste avec son art et avec lui-même.

Même si la métaphore de la créativité et de la santé mentale sont bien présentes, je les considère comme des éléments de l’univers et des personnages à part entière. Je n’ai pas vraiment approché le récit en pensant “je veux faire une histoire sur ce que les artistes expérimentent” ou les problèmes et frustrations qui peuvent en découler.

Au début, il y avait la question “qu’est-ce qui se passerait si un dieu était exclu de sa propre création” et c’était plus une question philosophique que personnelle. Plusieurs interrogations ont été soulevées dans ce scénario que j’espère pouvoir explorer dans de futurs projets, mais naturellement, j’ai commencé à me tourner vers ma propre expérience quand j’ai tenté de répondre à la première question. Ça m’a amené à réfléchir aux difficultés que j’éprouve face aux projets inachevés, au sentiment d’être exclu de ses propres idées, et à d’autres choses de la sorte. 

Celà étant dit, je préfère laisser ces réflexions et spéculation aux lecteurs et j’espère, si possible, que les éléments plus ordinaires du récit vont les divertir, tel qu’oublier de vérifier son courrier, manquer de sommeil et le pouvoir de l’amitié.

 

Sur une bd comme celle-ci – avec un récit non-linéaire – comment s’organise votre processus d’écriture ? 

Je n’ai pas vraiment de processus pour qu’un récit reste linéaire. Il y a pas mal d’éléments qui peuvent dicter la manière dont une histoire va être racontée et j’ai tendance à ne pas attacher trop d’importance à ça tant que ça me convient.

De mon point de vue, Leftstar n’est pas un récit non-linéaire, mais peut-être que je comprends pourquoi certains peuvent le penser, je ne sais pas trop.

Quand il s’agit de m’organiser, plusieurs choses entrent en jeu. Mais je peux vous dire que ce n’est pas super organisé, parce que chaque fois que j’essaye d’ordonner les choses, je finis par me perdre en tentant de rendre le processus d’organisation intéressant au lieu d’être efficace.

Pour Leftstar et l’étrange péripétie, j’ai une anecdote amusante : un jour, j’ai passé des heures sur la création d’un tableur très mignon pour suivre mes progrès et les rythmes de l’histoire, mais je ne l’ai plus jamais utilisé après une semaine.

En fin de compte, toute organisation que je tente ne me sert qu’à prendre l’habitude de penser à l’histoire/au projet, une fois que je suis bien imprégné, les choses se font naturellement.

Le mot «chaotique» est peut-être plus approprié.

Du storyboard à l’encrage, quelles sont les étapes de votre processus de création ?

Et bien, en premier lieu, je passe beaucoup de temps à réfléchir et à me poser des questions jusqu’à avoir une idée solide de ce que je vais faire. Je ne planifie pas grand-chose installé à mon bureau, et j’évite de m’y asseoir si je n’ai pas une idée concrète en tête. À ce stade précoce, j’ai l’habitude de faire de simples et rapides gribouillis sur mon petit carnet de croquis et un stylo Micro.

Les dialogues et les idées écrites sont généralement consignés dans mes notes sur téléphone ou sur ordinateur portable. Je continue de faire cela jusqu’à ce que la bande dessinée soit terminée, mais c’est 90 % de ce que je fais au début du processus de création. Je ne fais pas de découpage ni de script pour l’ensemble de la BD à l’avance. 

Il m’arrive de faire des vignettes sur quelques planches/séquences de temps en temps, mais tout cela est très pratique. Bien que je ne suive pas une chronologie rigide script > découpage > dessin > encrage, j’essaie d’être organisé en posant les principaux éléments et concepts de l’histoire avant de commencer à dessiner les planches. Quand le moment est enfin venu de commencer à dessiner les pages, je vais directement sur Procreate (une application pour iPad). J’utilise encore le matériel traditionnel pour les études et la pratique (stylo Micron ou à encre et pinceau).

En ce qui me concerne, une partie importante du processus consiste à essayer de gérer et d’allouer des périodes de temps spécifiques au travail, pour ne pas m’ennuyer et ne pas faire d’erreurs bêtes.  Je suis un grand adepte de la méthode pomodoro. Ça a changé ma vie. 

C’est l’occasion de dire que je travaille à temps plein aux Etats-Unis et que je dédie déjà une bonne partie de mon énergie et de mon temps assis à travailler, donc j’essaye de faire attention au temps que je passe à dessiner également !

Y a-t-il d’autres projets sur lesquels vous travaillez et desquels vous pourriez nous parler ?

Je participe à nouveau à la ShortBox Comics Fair cette année (2024) et j’espère être capable de terminer mon projet dans les temps. J’ai aussi un potentiel projet collaboratif à venir, mais je pense qu’il est trop tôt pour en dire quoi que ce soit pour le moment.

Dans tous les cas, j’ai beaucoup d’idées qui se sont accumulées ces dernières années, donc j’espère pouvoir les mener à bien avant que la civilisation humaine ne s’effondre, ou que je meurs.

Peut-être une autre histoire à propos de Leftstar ?